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jeudi 22 mars 2018

La Suisse, ce pays cool qui s’ignore


En 1998, en pleine affaire des fonds juifs en déshérence, l’image de la Suisse était au plus bas. Qu’en est-il vingt ans plus tard? Nous avons demandé leurs avis à des observateurs avec un pied en Suisse et l’autre à l’étranger



Demandez à un Suisse s’il trouve son pays cool. Vous obtiendrez des réactions allant du sourcil levé à l’éclat de rire. Efficace, sûre, peut-être. Mais cool? Ce n’est pas le premier mot que les indigènes associent à la Confédération. A quelques exceptions près, comme celle de Nicolas Bideau, directeur de Présence Suisse, qui a fait de la défense de son pays son gagne-pain. Il considère Roger Federer comme le «roi de la coolitude» et n’a pas assez de mots pour encenser la Nati. Mais ce n’est pas tout: «Le Swiss made est tellement cool que tout le monde veut le copier», souligne Nicolas Bideau.

Admettons qu’un joueur de tennis toujours au sommet de son art et une équipe de football qui décroche un ticket pour la coupe du monde permettent de faire rayonner davantage que le sport helvétique. Ce n’est pas pour autant qu’on voit débouler en Suisse des hordes de jeunes via EasyJet. Genève n’est pas Barcelone, Zurich n’est pas Berlin. Les villes suisses sont bien trop chères pour être cool.

Pourtant, au cours des deux dernières décennies, en toute discrétion, l’image de la Suisse s’est dépoussiérée, modernisée. En 1998, après l’affaire des fonds juifs en déshérence, la réputation du pays des banques était au plus bas. Qu’en est-il vingt ans plus tard? Nous avons demandé leurs avis à des observateurs avertis qui vivent à cheval entre la Suisse et l’étranger.

«Les Suisses ont dû sortir de leur réserve»

«La Suisse n’a pas élargi ses frontières géographiques, mais ses horizons. Elle s’est développée, diversifiée», observe Susann Sitzler, journaliste germano-suisse basée à Berlin.

Pour cette Bâloise, la confrontation avec l’altérité a poussé les Suisses à s’affirmer: «Face aux Allemands qui parlent fort et disent ce qu’ils pensent, ils ont dû sortir de leur réserve et sont plus conscients de leurs qualités.»

Susann Sitzler ne tarit pas d’éloges sur son pays d’origine, sa gastronomie, son sens de l’innovation, ou le niveau d’éducation élevé «des plus riches comme des plus modestes». Si seulement les habitants pouvaient faire preuve d’un peu moins de perfectionnisme: «On se soucie encore trop du qu’en-dira-t-on. C’est handicapant, car on préfère ne rien faire, plutôt que de commettre une erreur.»

Le sens poussé de l’autocritique agace aussi Axel**, Islandais établi à Zurich depuis cinq ans, pour qui il n’y a pourtant pas plus cool que la Suisse: «Son architecture est intéressante, sa qualité de vie est fantastique, l’accès à la culture est facile. Comment est-il possible de ne pas trouver cool de pouvoir sauter dans un train le matin, de skier la journée et de rentrer en ville le soir?»

Décloisonnement

Mais en fait, ça veut dire quoi être cool? Deux doctorants en philosophie de l’université de Genève, Constant Bonard et Benjamin Neeser, se sont attelés à définir cette notion aussi vague qu’utilisée. Le cool possède deux propriétés selon eux: de l’originalité et une certaine forme d’anticonformisme. Mais surtout, il est éphémère, mouvant, et défini par une «élite coolofactrice». Le degré de cool, en Suisse, dépend donc de l’importance de cette population jeune, mobile, éduquée, tournée vers le monde.

Pas étonnant dès lors que les écoles d’art, universités, écoles polytechniques, jouent un rôle de hub. «En attirant des étudiants internationaux, elles ont forcé les locaux à se frotter à la concurrence, à se comparer», souligne Lionel Baier. Un décloisonnement amplifié au cours des vingt dernières années avec l’explosion de l’usage d’Internet et des réseaux sociaux et la multiplication des échanges universitaires.

La Suisse n’a pas d’exotisme et existe à peine aux yeux du reste du monde, dit le réalisateur romand. Mais c’est aussi un atout: «Elle donne envie d’en partir, de voir ailleurs, de se confronter avec d’autres réalités. Regardez le nombre d’explorateurs qu’a produit la Suisse: Ella Maillart, Nicolas Bouvier… Les Suisses ont le courage des nantis qui n’ont pas connu la guerre. Ils se montrent particulièrement doués pour l’adaptation.»

Résultat: dans le design, la mode ou le sport, la Suisse a ses ambassadeurs. On ne sait pas toujours qu’ils sont nés dans les replis des Alpes. Mais ils exportent une esthétique et un certain sens du savoir-faire, qui n’est plus synonyme de ringardise. La Suisse de 2018 est plus sûre d’elle que celle de 1998. Lionel Baier, qui ne manque pas de sens critique à l’égard de son pays, le voit aussi comme un «grand incubateur de talents»: «Il y a une forme d’horizontalité, une confiance dans la jeunesse, une légèreté de l’appareil bureaucratique et un désir de faire exister le tissu local. On laisse partir les jeunes avec bienveillance, en espérant qu’ils reviendront», remarque le cinéaste.

Et la scène locale?

Or si l’«élite coolofactrice» s’exporte, que reste-t-il sur place? Pour le Britannique Haig Simonian, ancien correspondant du Financial Times, c’est là que le bât blesse. Il voit toute une série d’avantages à la Suisse: efficacité, qualité de vie, beauté des paysages, mais rien qui rentre dans sa définition du «cool», comme une scène musicale ou artistique qui permettrait d’attirer les jeunes. «Quand ma fille était dans son internat en Angleterre, on lui demandait si elle avait une vache à la maison et si elle avait du réseau pour son téléphone mobile. Vous trouvez que cela donne une image cool?» demande Haig Simonian.

Tyler Brûlé l’observe lorsqu’il marche dans les rues de Zurich ou de Genève: «La Suisse s’est internationalisée. Dans certains quartiers de Zurich, j’ai l’impression d’être à Berlin. Dans une version plus petite et propre en ordre.»

L’éditeur du magazine d’information et lifestyle Monocle a renforcé son équipe à Zurich, où il compte ouvrir bientôt un café et une boutique. Il se sent beaucoup mieux accueilli que par le passé, lorsqu’il s’installait pour la première fois: «On m’avait glissé un mot sous la porte: «Foreigners go home». L’éditeur canadien décrit aussi un changement de mentalité. Alors qu’une génération de jeunes gens rêvait de longues carrières dans des grandes entreprises, «de plus en plus de jeunes lancent des petites entreprises, même des Suisses». Un effet collatéral de la crise économique et bancaire de 2007, pense Tyler Brûlé.

Mais le pays n’est pas devenu cool pour autant, estime-t-il: «Il ne produit rien de très populaire, contrairement aux pays nordiques, qui lui ressemblent. Pourquoi aucun film du calibre de The Square n’est jamais sorti de Suisse? Une série à succès? Ou une marque comme H&M ou Ikea? Où est la pop culture suisse?»

Contentement de soi

Mais le vrai cool n’est pas compatible avec la consommation de masse. Il se cache dans des niches invisibles grand public: scènes locales, événements éphémères, espaces de spontanéité. «Une des plus grandes surprises chez mes amis qui viennent me rendre visite, c’est l’été au bord de la Limmat. La décontraction, la musique, les gens qui sautent dans la rivière: on ne s’attend pas à tant de cool à Zurich», observe Charlotte Theile, correspondante en Suisse de la Süddeutsche Zeitung. «Beaucoup ne connaissent pas la Suisse en réalité. Zurich a une offre culturelle incroyable, mais ça ne se sait pas forcément hors des frontières de la ville.»

Le problème? «Je ne suis pas sûre que la Suisse souhaite que le reste du monde soit conscient de ce qu’elle a à offrir. Il y a une forme de contentement de soi, qui pousse à l’indifférence.»

Pour certains, c’est aussi une affaire de générations. Face à la modestie des anciens, les plus jeunes sauront davantage se dévoiler. Peut-être qu’ils parviendront aussi à apporter ce qui manque encore à la Suisse: savoir se prendre un peu moins au sérieux. La coolitude ultime, en somme.

* Susann Sitzler: Grüezi und Willkommen. Die Schweiz für Deutsche. Links, Berlin
** Prénom d’emprunt

Mathilde Farine
Céline Zünd